Pêche à la "frisque"... Pêche à la "flisque"... Et tenkara

Peu attiré par la pêche à la mouche de compétition, trop conditionnée par l’obligation de résultat au dépend de l’art et de la manière, je reste toutefois attentif aux évolutions techniques qu’amène cette pratique et je suis très curieux de tout ce qui est innovant… A condition, bien entendu, que cela le soit réellement ! Mon esprit critique me pousse donc à gratter le vernis lorsque je découvre de nouvelles choses… Comme tout le monde le sait, tout ce qui brille n’est pas de l’or !

 

Un pêcheur de compétition rencontré cet été au bord de l’eau m’a parlé d’une pêche révolutionnaire et d’une efficacité inégalable : «  la pêche à la frisque ». Avec cette technique, les adeptes qui font du chiffre, comme ils disent, lancent généralement à une distance de 10 à 15 mètres en amont ou en travers deux nymphes de type « perdigon », une en pointe et une autre quelques dizaines de centimètre au-dessus… On ne pêche plus sous la canne avec de lourdes « nymphes » plombées, comme dans la pêche à la roulette ou dans la technique tchèque ; c’est une pêche plus subtile et plus proche de la « nymphe » à vue  mais cela reste de la « nymphe » plombée en aveugle… Donc au toc ! On ratisse méthodiquement tous les postes susceptibles d’abriter un poisson. Les pêcheurs espagnols ont même pris l’habitude de supprimer la soie pour la remplacer par un mono-filament ultravisible de 14% ou 16%. En pêchant comme au toc, surtout au moment où les larves et les nymphes se mettent en mouvement, c’est-à-dire durant les mouvements d’eau ou pendant les périodes qui précèdent ou qui suivent les éclosions, le procédé est très productif sur des eaux agitées… En période de faible activité des insectes, les imitations qui sont censées représenter les larves, les nymphes ou des insectes noyés du moment deviennent inefficaces ; seuls les leurres qui jouent sur le caractère purement téléonomique des poissons restent attractifs ; le mouvement (animation du leurre) et certaines couleurs, plus précisément des quantités de lumière dans des domaines énergétiques bien particuliers, déclenchent l’attaque sans que le déclencheur puisse être associé à une nourriture présente ou recherchée. La pêche devient alors un simple jeu d’adresse et de hasard. 

 

Dans tous les cas, l’action n’est autre qu’une sorte de pêche au « bikini », un mode de pêche pourtant interdit par la réglementation française en 1ère catégorie.

 

Bref, si l’on veut bien passer sur ce détail qui vis-à-vis de l’éthique est loin d’en être un, on peut se poser la question, pourquoi avoir dénommé ce type de pêche « pêche à la frisque » ?

 

En français, le mot frisque signifie gai, pimpant, joyeux, plein de vivacité. Je suis un pinailleur, c’est certain, mais je voudrais bien comprendre ce que le mot « frisque » apporte à la caractérisation de cette nouvelle pêche à la mode. D’abord quand on y regarde de près, on s’aperçoit qu’il n’est pas facile de lancer, à une certaine distance et avec un long et fin bas de ligne, une ou deux « nymphes » plombées, même si elles sont de petite taille. Il est encore moins facile de les placer juste où il faut, de les faire dériver correctement sans perdre le contact et surtout de détecter les touches. Seuls, ceux qui ont du matériel bien adapté et une certaine pratique obtiennent des résultats qui sont parfois surprenants. Prendre en quantité des poissons que le commun des mortels ne sait pas ou ne peut pas leurrer avec les méthodes traditionnelles… C’est cela qui est si rigolo ? Je n’ose pas y croire ! Alors, ce mot a-t-il été choisi pour faire allusion à la cadence rapide d’un geste habile et à la réactivité nécessaire pour détecter des touches souvent imperceptibles ? Ou bien s’agit-il simplement d’une déformation du nom donné à une technique de pêche bien connus des anciens, la  pêche à la « flisque », un mode de pêche très similaire ? Si je m’en tiens aux propos tenus sur le Net par un compétiteur de D1 qui semble maîtriser parfaitement cette technique, je pencherais pour cette dernière supposition.

 

C’est en se plongeant dans l’occitan et en particulier dans le patois gascon que l’on trouve le sens du mot « flisque » ; le « flisc » ou « flisca » signifie claquement ; le verbe « fliscar » qui veut dire claquer se conjugue au subjonctif présent « el flisque » (qu’il claque).  La pêche à la « flisque », comme un bon nombre d’expressions occitanes, est une définition parfaitement imagée du geste que réalise le pêcheur à la mouche actionnant son fouet* ; un fouet qu’il claque pour sécher et tendre sa ligne, ce qui a pour effet d’assurer une bonne flottabilité de la ligne tout en lui fournissant l’énergie cinétique nécessaire et utile pour qu’elle puise s’étendre vers l’avant dans un geste d’accompagnement tout en finesse et en précision.

 

Un vieux monsieur qui n’est plus de ce monde depuis une vingtaine d’années m’avait parlé d’un pêcheur gitan qu’il avait vu à l’œuvre dans sa jeunesse, il y a donc bien longtemps, sur les rives de la Garonne, quelque part entre Marmande et Langon. Ce gitan que les gens du pays surnommaient « La Flisque » parce qu’il pratiquait avec une dextérité presque magique une pêche proche de celle qu’ils connaissaient bien, la pêche à la volante. Cette pêche rustique qui permettait, à l’aide d’un long bambou et d’une simple ligne eschée d’une sauterelle, d’un grillon ou d’une mouche de cuisine, de prendre à vue des chevesnes (cabots), des vandoises (sièges) ou des ablettes, «La Flisque » la pratiquait, de manière inédite pour l’époque et la région, avec une canne à mouche (un fouet) et des mouches artificielles. En lançant  à la « flisque » et à courte distance des mouches faites entre les doigts, la « pallareta » jaune cerclée de noir et la noire à cul rouge montée avec une plume de pintade, ses préférées, il prenait indifféremment les « cabots » qu’il repérait en surface ou entre deux eaux et ceux qu’il devinait sur les postes de chasse.

 

Si on remplace les mouches sèches ou noyées du gitan « La Flisque » par des « nymphes » plombées et si on remonte la rivière en attaquant méthodiquement en amont ou en travers tous les postes des parties courantes comme le faisaient de nombreux pêcheurs gitans, catalans et autres (mouche piquée, mouche glissée ou noyée), on peut dire que l’on pratique cette fameuse technique nommée aujourd’hui par les compétiteurs « pêche à la frisque »… Même si on n’en maîtrise pas toutes les subtilités !

 

Est-ce cette petite variante qui consiste à remplacer des sèches ou des noyées plus ou moins lourdes par des « nymphes » lestées avec des billes de tungstène qui serait à l’origine de la mutation du mot « Flisque » en « Frisque » ?... Cela serait bien peu de choses pour parler de nouveauté !

 

A mon avis, ce que l’on peut considérer comme véritablement moderne, c’est l’arrivée sur le marché de cannes de 10’ à 11’ très légères possédant une action particulièrement adaptée, du matériel bien plus performant mais aussi et bien plus onéreux et bien plus fragile que celui qu’utilisaient les anciens ! Cette évolution technologique qui allège trop facilement la carte bleue mais réduit avec bonheur la fatigue liée aux nombreux lancés qu’exige cette pêche, permet de lancer et de diriger avec précision et discrétion les « nymphes » tout en permettant une excellente réactivité au moindre indice de touche.

 

En conséquence, si l’on préfère parler de pêche à la « frisque » simplement pour se démarquer un peu de la pêche à la « flisque» tout en lui donnant un caractère de modernité, cela me paraît bien inutile et sans fondement sur le plan étymologique… Si c’est pour laisser croire que l’on a inventé quelque chose, je trouve que c’est bien prétentieux !... Et si c'est une erreur, disons de "frappe", il serait logique de corriger le tir !

 

Quoi qu'il en soit, pour moi qui reste un passionné de la pêche à deux mouches amont, même si, très occasionnellement et plus par curiosité que par soucis de rendement, je remplace mes tandems sèche (noyée)/noyée ou sèche (noyée)/nymphe par un tandem « perdigon »/« perdigon », je continuerai de penser que je pêche à la « flisque »… Avec du matériel moderne mais avec une technique qui n’est qu’une appropriation et une adaptation évolutive, selon mes moyens et mes goûts, d’un savoir ancien... Tout cela sans perdre de vue l’idée que l’héritage du passé doit être reconnu et préservé. Et lorsque, au hasard des rencontres au bord de l’eau, un confrère plus curieux que les autres me posera la question : « à quoi pêchez-vous ? », comme d’habitude, je répondrai simplement et en toute honnêteté : « à la mouche ! ».

 

 

*Autrefois, cet équipement, rustique mais très efficace entre des mains expertes, était constitué généralement d’un simple bambou noir ou d’un roseau flexible mesurant 3 mètres ou plus. Il se prolongeait par une tresse et un bas de ligne généralement en crin de cheval sur lequel étaient fixées une ou deux mouches. Léonce de Boisset dans « Les mouches du pêcheur de truites», nous raconte comment les pêcheurs de la basse rivière d’Ain prenaient, avec les fameuses "mouchettes de l’Ain" dont les plus réputées étaient celles de J.Roussiller, des quantités d’ombre. Montées en nombre (parfois par 9 à 12) sur des bas de ligne en crin japonais ou en crin de cheval et lancées à l’aide d’un grand fouet, (6 à 7 mètres), les mouches dérivaient sur de courtes distances en travers des courants. Ne possédant aucun moulinet ni réserve de ligne, les poissons étaient ramenés rapidement et en force. Plus tard la tresse de coton ou de soie graissée et le nylon ont fait évoluer cet outil et son utilisation. Aujourd’hui, avec le carbone haut module, on a remis au goût du jour cette pêche à la « flisque » très ancienne pratiquée autrefois sur de nombreuses rivières de France, d’Espagne… Et de bien d’autres pays… Et pour lui donner un intérêt commercial plus que pour effectuer un véritable retour aux sources, on lui a donné le nom exotique de TENKARA !

 


 

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Commentaires: 6
  • #1

    steph (samedi, 07 février 2015 17:53)

    bonjour,je suis aussi intrigué par cette fameuse peche à la frique,dont j'ai entendu moi aussi parler surtout sur le blog d'un pecheure d1.je peche moi aussi avec des perdigons amont mais je pense que cette "frisque" est un peu different en action.je me demande si il peche fil tendu avec indicateur (nylon fluo) en peche amont à longue distance ou si la ligne est posée (avec l'indicateur) et qu'il joue sur le poids des nymphes pour qu'elles évoluent juste au dessus du fond en plombant juste ce qu"il faut pour ne passer ni trop haut ni trop lourd pour pas accrocher et faire couler l'indicateur.la touche se traduisant visuellement avec le fil fluo.malgré mes recherches, je n'arrive à "percer le secret".si tu as + d'infos,je suis tout ouie.bonne continuation pour ton blog.

  • #2

    JLS (dimanche, 08 février 2015 12:13)

    Bonjour,

    Merci de t'intéresser à mes propos. Concernant mon article, je précise que c'est davantage la façon dont on parle des nouvelles techniques de pêche à la mouche que de la manière dont elles sont pratiquées qui m'a interpellé et fait réagir. Qu'est-ce qu'elles apportent de nouveau pour le plaisir et non pour le rendement ? Sans pour autant rejeter ce qui est moderne ou innovant, je m'interroge sur les incidences de telles pratiques.

    Pour ce qui est de la pêche à la "Frisque" comme ils disent, je ne peux pas aller très loin dans le détail de la technique, ce n'est pas mon domaine et je laisse cela aux spécialistes.... Des spécialistes qui, probablement, ne manqueront pas de m'en vouloir pour avoir remis en cause leur vocabulaire... Mais ce n'est pas grave !
    Ce que je sais me suffit pour deviner le mécanisme de la technique et ce que je peux dire sans trop me tromper c'est que ce mode de pêche ne peut se pratiquer qu'avec un matériel spécialement adapté. Il faut également acquérir le geste qui convient.
    Si, comme j'ai cru le comprendre, la technique en question dérive d'anciennes pratiques comme la pêche à la flisque (et non la pêche à la frisque !), alors on doit retrouver dans cette pêche à la roulette à distance les mêmes contraintes que celles qu'il est nécessaire de maîtriser dans la pêche à la noyée amont ou dans la pêche à la mouche piquée. Si c'est le cas, alors le secret de la réussite réside essentiellement dans le contrôle parfait de la dérive des nymphes qui doivent passer au bon endroit et à la bonne vitesse. Cette action est réalisée par une récupération judicieuse du bas de ligne qui permet de rester toujours en contact avec les nymphes, sans les brider... Tout un art, bien entendu ! Une récupération trop rapide fait remonter les nymphes ; celles-ci ne pêchent alors que sur quelques centimètres, tout au plus. Dans une récupération trop lente ou avec trop de mou, les nymphes se plantent sur le fond ; dans ce cas, si un poisson prend le leurre, la touche ne sera pas perçue et le poisson recrachera aussi vite qu'il a pris. La perception de la touche est plus un ressenti qu'un phénomène visuel. La réaction à la touche est une prise de contact immédiate avec le poisson qui, en principe, doit se ferrer tout seul.
    Cette pêche est certainement bien plus difficile que celle qui consiste à soutenir des nymphes lourdes sous la canne pour racler le fond (roulette classique ou méthode tchèque) ou que la méthode de la nymphe avec indicateur, l'indicateur faisant office de bouchon. Pour ce qui me concerne, même avec un bon matériel, elle devient rapidement épuisante et reste donc peu attractive.
    Est-ce une technique miracle ? Je ne le pense pas. Ayant l'occasion de passer de très longs moments au bord de l'eau sur des sites où j'ai le privilège de pouvoir travailler des poissons à vue, j'ai observé que ces derniers devenaient de plus en plus méfiants. Ils s'éduquent très vite ! Même avec des nymphes plombées minuscules présentées "au millimètre" sur du 8%, les refus sont de plus en plus fréquents. En pêchant en aveugle, on ne peut pas s'imaginer le nombre de poissons que l'on dérange et donc que l'on éduque. Trop sollicités, ces poissons éduqués ne viennent s'alimenter entre deux eaux ou en surface qu'à de trop rares moments et leur activité est de très courte durée : ils deviennent pratiquement imprenables avec une canne à mouche mais restent encore bien vulnérables devant un vairon frétillant, des boulettes de fromage ou une mouche naturelle... Et beaucoup d'entre eux finissent souvent dans le fond d'un panier ! N'y a-t-il pas de quoi se poser des questions ?
    Certes, la pêche à la "Frisque" est une pêche rentable... Mais à quel prix !... Pour quel plaisir ?... Et pour combien de temps ?

    Ceci dit, si dans tes expériences et tes recherches tu découvres des choses intéressantes et si tu veux bien m'en faire part, je suis preneur.


    Bien cordialement,

  • #3

    steph (dimanche, 08 février 2015 14:40)

    merci pour cette réponse sur cette pratique de la frisque qui reste quelque peu mysterieuse.la découverte de la peche en nymphe qui pour ma part est assez nouvelle (2 ans),malgré mes 25 ans de fouet dans les pyrenées (sèche uniquement)m'a fait prendre conscience qu'il restait encore pas mal de poissons malgré la diminution de gobages qui ne fait que croitre d'années en années,et qui laissait penser à une grosse baisse du cheptel piscicole.certes,pour moi,la peche au fouet reste la sèche avant tout,pour l'emotion du gobage et le plaisir de voir nager ses propres mouches;mais il faut avouer que la nymphe reste redoutable,en particulier ces fameuses perdigones dont je ne saurai plus me passer,je garde encore en memoire ma premiere sortie avec ces bestioles dans les pyrenees ,je n'en croyait pas mes yeux,j'ai piqué dans une apres midi des poissons de toute tailles en un temps record,sur des sites ou je pensais "a tort" que tout etait "mort".mais tu as raison sur le fait que cette peche est épuisante,répétitive et pas toujours plaisante;et puis comme tu précise,cela marchera un temps puis elles connaitront "la musique".je continue mes recherches sur la frisque et ne manquerai pas de t'informer si j'ai du nouveau.cordialement.

  • #4

    Marc (mercredi, 01 juin 2016 15:30)

    Bonjour
    Je partage tout a fait l'esprit de ton analyse sur la "frisque"et' j'ai trouvé assez cocasse la présentation du Tenkara comme une nouveauté. . En gros la peche de mon enfance :canne en bambou + sauterelle puis comble de l evolution en faisant sautiller un gros palmer en surface

  • #5

    Carlos (vendredi, 10 avril 2020 20:08)

    Tres bon article
    Moi je peche en amont a 2 noyees et une nymphe depuis des annees alors la flisque ou la frisque ... rien de nouveau�je peche comme vous a la mouche

  • #6

    thierry (vendredi, 05 juin 2020 08:58)

    merci ! pour pour votre compte rendu de la frisque ou flisque et votre point de vue que je partage du coté commercial de la pêche a la nymphe ,et malheureusement de l'avenir de la pêche et de nos rivières .

         Photo : Pierre Cadiran
Photo : Pierre Cadiran